Une décision constatant la péremption d’un permis de construire doit-elle être motivée et précédée d’une procédure contradictoire et, dans l’affirmative, sur quel fondement ?
Pour rappel, aux termes de l’article R. 424-17 du code de l’urbanisme, un permis est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans un délai de trois ans à compter de sa notification – ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue – ou encore si, passé, ce délai, les travaux sont interrompus pendant une durée supérieure à 1 année.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord qu’une décision constatant la caducité d’une autorisation d’urbanisme doit être motivée en application de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration et précédée d’une procédure contradictoire en application de l’article L. 121-1 du même code.
Toutefois, le Conseil d’Etat précise ensuite qu’en cas de recours contre cette décision de constat de caducité, deux situations doivent être distinguées :
Une dérogation espèces protégées peut-elle être annulée au motif qu’elle n’inclurait pas toutes les espèces protégées affectées par le projet ? Et une dérogation modificative accordée par la suite peut-elle régulariser la situation ?
Le Conseil d’Etat répond oui à ces deux questions, en affirmant que :
« 14. Il résulte des principes rappelés au point 6 que la légalité d’une dérogation accordée sur le fondement du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement peut utilement être contestée au motif qu’elle ne porte pas sur certaines espèces protégées, le juge appréciant la légalité de la décision à la date à laquelle elle a été prise au vu des pièces produites par les parties. Toutefois, le moyen tiré d’une violation de ces principes par la dérogation litigieuse ne saurait être accueilli dès lors qu’une dérogation modificative accordée postérieurement en assure le respect. »
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat affirme que :
« 6. Lorsque le règlement d’un plan de prévention des risques d’inondation ne précise pas, comme il lui est loisible de le faire, si la notion d’extension d’une construction existante, lorsqu’il s’y réfère, comporte une limitation quant aux dimensions d’une telle extension, celle-ci doit, en principe, s’entendre d’un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci. »
Suivant les conclusions de son rapporteur public, Nicolas Agnoux (disponibles sur ArianeWeb), le Conseil d’Etat décide ainsi de transposer la définition de l’extension d’une construction existante – applicable lorsque le règlement ne la précise pas – qu’il avait déjà dégagée pour l’interprétation de règles d’urbanisme (Voir not. CE, 9 novembre 2023, M. et Mme E., n°469300, Tab. Leb.).
L’article L. 424-5 du code de l’urbanisme prévoit qu’une autorité compétente ne peut retirer un permis de construire ou une décision de non-opposition à une déclaration préalable que si deux conditions cumulatives sont réunies : d’une part, l’illégalité de l’autorisation ; d’autre part, le respect d’un délai de 3 mois à compter de la date à laquelle cette autorisation a été délivrée.
S’agissant de la seconde condition, le Conseil d’Etat précise que :
« Lorsque la décision de retrait est notifiée au bénéficiaire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception postal, ainsi que le prévoit l’article R.*424-10 du même code pour la décision refusant le permis ou s’opposant au projet faisant l’objet d’une déclaration préalable, dont les dispositions s’appliquent également à la décision de retrait de la décision accordant l’autorisation demandée, le bénéficiaire est réputé avoir reçu notification de la décision de retrait à la date de la première présentation du courrier par lequel elle lui est adressée. Il incombe à l’administration, lorsque sa décision est parvenue au bénéficiaire après l’expiration de ce délai et que celui-ci conteste devant le juge administratif la légalité de cette décision en faisant valoir que le délai n’a pas été respecté, d’établir la date à laquelle le pli portant notification de sa décision a régulièrement fait l’objet d’une première présentation à l’adresse du bénéficiaire. »
Par cet avis, le Conseil d’Etat précise les règles applicables à la mise en œuvre des pouvoirs de mise en demeure prévus à l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme.
Conformément à cet article, en cas de travaux réalisés en méconnaissance des règles d’urbanisme, l’autorité administrative peut, après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure de procéder aux opérations de mise en conformité ou de régularisation nécessaires.
Si ces travaux présentent un risque certain pour la sécurité ou pour la santé, et que la mise en demeure est restée sans effet au terme du délai imparti, l’autorité compétente peut alors procéder d’office à la réalisation des mesures prescrites, aux frais de l’intéressé.
Saisi d’un litige portant sur un arrêté interruptif de travaux et une mise en demeure de régulariser les constructions, le tribunal administratif de Montpellier a sursis à statuer pour interroger le Conseil d’Etat sur le délai au cours duquel ces prérogatives peuvent être exercées.
Dans son avis, le Conseil indique que l’exercice des pouvoirs tirés de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme est soumis au délai de prescription de l’action publique.
Par conséquent, l’administration ne peut les exercer au-delà d’un délai de 6 ans à compter du jour où l’infraction a été commise.
En vue de la mise en œuvre de la réforme dite « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols, issue de la loi dite « Climat et résilience » du 22 août 2021, la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature a publié un guide synthétique ainsi que des « fascicules de mise en œuvre » de la réforme.
Une commune a demandé au Conseil d’Etat l’annulation du fascicule n°1 intitulé « Définir et observer la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers et l’artificialisation des sols », contestant en particulier les énonciations relatives à la définition juridique de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
En premier lieu, le Conseil d’Etat juge que les précisions indiquées dans le fascicule peuvent faire l’objet d’un recours en annulation, compte tenu des effets notables sur la situation des collectivités territoriales qu’elles sont susceptibles d’emporter.
En second lieu, le Conseil d’Etat considère que la commune n’est toutefois pas fondée à demander l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions du fascicule contesté, dès lors que celles-ci ne méconnaissent ni le sens ni la portée de la loi du 22 août 2021 qu’elles interprètent.
Dans la décision commentée, la 5ème chambre du Conseil d’Etat considère que, dès lors que l’illégalité du permis de construire n’exigeait aucune appréciation de fait, le maire était tenu de le retirer.
Dans une telle situation, elle affirme qu’une procédure contradictoire préalable n’est pas exigée :
« 3. Toutefois, il ressort de ce même jugement que le tribunal administratif a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, jugé que le permis litigieux méconnaissait les dispositions de l’article U9 du règlement du plan local d’urbanisme de la commune aux termes desquelles : » En secteur Ua, l’emprise au sol des constructions ne doit pas excéder 70% de la surface de la parcelle. / (…) » L’application de ces dispositions n’appelant, en l’espèce, aucune appréciation de fait, le maire était tenu de retirer le permis de construire tacitement accordé le 23 mars 2022. Dès lors le moyen pris de ce que l’arrêté litigieux aurait été pris en méconnaissance des dispositions de l’article L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration citées ci-dessus faute de procédure contradictoire préalable était inopérant. En se fondant sur ce moyen pour annuler l’arrêté attaqué, le tribunal administratif de Caen a entaché son jugement d’erreur de droit. »
Lorsque des travaux sont réalisés sans avoir fait l’objet d’une dérogation espèces protégées, alors qu’une telle autorisation était requise, le préfet est tenu de mettre en demeure le porteur de projet de régulariser sa situation. Il peut également ordonner le paiement d’une amende et la suspension de la poursuite des travaux (C. env., art L. 171-7).
Le préfet se trouve ainsi dans une situation de compétence liée, c’est-à-dire qu’il est obligé de prendre ces mesures lorsqu’elles sont nécessaires à la protection des espèces protégées.
Par conséquent, une décision d’un préfet refusant d’exercer ses pouvoirs de police peut faire l’objet d’un recours en annulation et, éventuellement, d’un référé-suspension.
La décision du Conseil d’Etat du 15 septembre 2025 en est un exemple concret.
En l’espèce, un préfet avait exempté deux sociétés de l’obligation de déposer une demande de dérogation espèces protégées compte tenu des mesures d’évitement et de réduction que celles-ci s’étaient engagées à mettre en œuvre.
Toutefois, les sociétés ont réalisé une partie des travaux sans respecter plusieurs de leurs engagements.
Le Conseil d’Etat a alors jugé que :
« Eu égard aux enjeux identifiés sur le site et aux impacts que le projet était susceptible d’avoir sur plusieurs espèces protégées, et alors que certaines des mesures d’évitement et de réduction au bénéfice desquelles le préfet avait dispensé les sociétés pétitionnaires de solliciter une dérogation espèces protégées n’avaient pas été mises en œuvre et n’étaient plus susceptibles de l’être, la réalisation des travaux litigieux pouvait être regardée comme faisant peser, sur certaines des espèces protégées présentes sur le site d’implantation du projet, un risque suffisamment caractérisé. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu ses obligations résultant de l’article L. 171-7 du code de l’environnement en refusant de mettre les pétitionnaires en demeure de régulariser leur situation par le dépôt d’une dérogation espèces protégées est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. »
En conséquence, la Haute juridiction a suspendu l’exécution de la décision contestée et a enjoint au préfet (i) de mettre en demeure les sociétés de déposer une demande de dérogation espèces protégées et (ii) de réexaminer la demande des associations requérantes tendant à la suspension des travaux en cours.